La question du partage de la valeur créée entre salaires / rémunérations des dirigeants / investissements et rémunération des actionnaires se pose dans tous les groupes. Mais pas de la même façon.
Les annonces se télescopent et les réactions se sont succédé depuis avril.
36,5 millions d’euros, c’est le montant de la rémunération du PDG de Stellantis pour l’année 2023, soit une hausse de 56% sur un an. Beaucoup crient au scandale ; cela coince d’autant plus que cette hausse s’inscrit dans un contexte de licenciements aux États-Unis et de départs volontaires en France et en Italie et de chômage partiel récurrent au sein du groupe.
En 2022 et 2023, TotalEnergies a dépensé 9 milliards de dollars en 2023 pour racheter plus de 142 millions d’actions, soit 5,91% de son capital, en vue de les annuler. En 2022, il avait consacré 7 milliards de dollars pour 5,35% du capital. Dans le même temps, le groupe consacrait près de 17 milliards de dollars, dont « seulement » 35%, soit 5,9 milliards, dans les énergies bas-carbone, essentiellement dans l’électricité. Autrement dit, les actionnaires étaient mieux rémunérés que les investissements réalisés dans les énergies renouvelables. Les rachats pour annulation ont un attrait pour les actionnaires, celui de faire théoriquement remonter le cours de l’action. Les rachats d’actions constituent une forme additionnelle de rémunération au versement de dividendes. La question est celle des priorités quand on sait qu’un groupe comme TotalEnergies doit et devra investir massivement pour financer sa transition.
Au même moment, le groupe Michelin annonce mettre en place un salaire « décent » supérieur au Smic et un « socle de protection sociale universel » pour ses 132 000 salariés dans le monde.
La question du partage de la valeur créée entre salaires / rémunérations des dirigeants / investissements et rémunération des actionnaires se pose dans tous les groupes. Mais pas de la même façon.
C’est pourquoi Phitrust a tenté cette année de poser une résolution à l’Assemblée Générale de TotalEnergies pour empêcher le rachat d’actions pour annulation. «Avec seulement une quinzaine de jours pour convaincre des investisseurs, nous avons manqué de temps et avons seulement pu réunir 0,2% du capital après avoir contacté directement 63 investisseurs, souligne Denis Branche. Toutefois, cette résolution a ouvert un débat au sein des gestions, entre les gérants ayant une vision plus financière qui se félicitent de la redistribution aux actionnaires de TotalEnergies et ceux ayant un axe plus ISR, qui insistent sur la nécessité pour le groupe d’accélérer sa transition.»
Cela montre la divergence croissante entre les annonces des investisseurs « Responsables ou durables » d’accompagner les entreprises de leur portefeuille dans la transition de leur » business model » pour atteindre la neutralité carbone et l’attente financière de ces mêmes gérants. Faire croire aux investisseurs institutionnels et privés que les investissements nécessaires pour modifier profondément et rapidement les modes de production, de distribution… seront possibles sans remettre en cause la rentabilité financière à court terme est un leurre car la rentabilité de ces nouveaux investissements sera longue à trouver comme l’a rappelé Patrick Pouyanné à l’Assemblée de TotalEnergies.
En tant qu’investisseurs Responsables et durables, ayons le courage d’assumer que le changement ne sera possible qu’en acceptant moins de rentabilité à court terme ! En serons-nous capables ?
Olivier de Guerre