18 février 2025

EDITO
Le salarié variable d’ajustement de l’économie 3.0

Il n’y a qu’un pas vers une bipolarisation de nos économies : ceux qui savent et s’adaptent pour être compétents, ceux qui ne savent pas ou ne sont pas considérés comme compétents.

La décision du Président Trump et d’Elon Musk de licencier 2 millions de fonctionnaires américains est dans la droite ligne des décisions récentes d’Amazon ou de Meta de licencier le personnel « incompétent » (les « low performers » selon les termes de Mark Zuckerberg). Ils considèrent en effet que toute entreprise ou administration peut être d’autant plus efficace qu’elle n’a que du personnel « compétent » qui s’engage à fond dans son travail, tout en étant conscient qu’il peut être licencié à tout moment… et le personnel dit « incompétent » n’a pas de place dans une entreprise ou une administration efficiente…

Elon Musk a fait envoyer deux millions de lettres ou mails invitant le personnel de l’administration américaine à démissionner sans discernement préalable. Amazon ou Meta utilisent, eux, des outils d’intelligence artificielle pour identifier si tel ou tel salarié est « compétent ». Le logiciel se veut totalement neutre par rapport à la décision car il se base sur des faits « avérés », détectés par l’intelligence artificielle en se basant sur des critères de décision de l’algorithme qui sont inconnus. Décision radicale car une fois lu l’email, le salarié ne peut plus avoir accès aux serveurs de l’entreprise et il reçoit automatiquement sa lettre de licenciement, ses indemnités (s’il en a…).

L’homme ou la femme deviennent une variable d’ajustement étant considérés comme les paysans avant la révolution industrielle qui vendaient chaque jour leur capacité de travail au propriétaire des terres qu’il cultivait (le servage).

A la fin des années 80 Joel de Rosnay avait publié un livre prémonitoire « l’homme cybernétique » dans lequel il expliquait que l’arrivée des réseaux internet modifierait le rapport au travail né avec l’industrialisation, le salarié perdant son statut et chacun vendant son savoir-faire à une ou plusieurs entreprises qui n’auraient quasiment plus de travailleurs en contrat à durée indéterminée, comme cela se faisait avant.

Les récentes décisions brutales de l’administration Trump veulent réduire le plus possible les effectifs et si nécessaire avoir recours à des entreprises privées ou des individus capables de réaliser plus efficacement telle ou telle tâche…

Nous sommes bien loin de la vision européenne de l’entreprise qui associe capital et travail et permet à des salariés de s’épanouir dans leur emploi. Nous sommes bien loin de la conception de l’entreprise qui a un rôle dans la société (cf. le discours d’Antoine Riboud au Medef à Marseille le 25 octobre 1972) et qui, de fait, recrute aussi des salariés de tout type et avec différentes qualités pour se développer.

Il n’y a qu’un pas vers une bipolarisation de nos économies : ceux qui savent et s’adaptent pour être compétents, ceux qui ne savent pas ou ne sont pas considérés comme compétents. Certains en Europe font l’éloge des méthodes de Trump/Musk pour diminuer le déficit budgétaire, mais la fin justifie-t-elle les moyens ? 

Cette question va devenir centrale dans nos entreprises qui doivent en permanence s’ajuster par rapport à une concurrence qui risque de ne plus respecter les règles construites depuis plus d’un siècle pour protéger les salariés. Ce qui expose nos organisations et écosystèmes à de profondes transformations à venir avec le risque d’une paupérisation grandissante des personnes jugées « incompétentes ».

En sommes-nous réellement conscients quand nous utilisons l’IA ou investissons dans les grandes sociétés d’IA ?

Olivier de Guerre

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