Simultanément ces jours-ci trois évènements totalement distincts montrent la très grande fragilité des grandes banques internationales aujourd’hui.
- Crédit Suisse
En Suisse le gouvernement fédéral impose à la banque UBS la reprise de Crédit Suisse pour éviter une faillite et une déroute bancaire systémique. Alors que de nombreux analystes s’inquiétaient de la situation financière du Crédit Suisse, l’annonce officielle de son principal actionnaire saoudien qu’il ne soutiendrait pas financièrement le Crédit Suisse après être entré au capital en octobre dernier a créé une crise de confiance en Europe et aux USA (où simultanément la banque californienne SVB était mise en liquidation) qui a amené le gouvernement suisse à prendre cette décision radicale.
Pour permettre ce rachat, UBS a procédé à l’annulation pure et simple de 16 milliards de prêts subordonnés, ce qui était explicitement prévu « en cas de nécessité » dans les contrats souscrits par de très nombreux investisseurs.
Qui plus est le gouvernement a pris un décret qui autorise la fusion sans vote des actionnaires de Crédit Suisse en Assemblée Générale, ce qui revient à considérer qu’en cas d’extrême urgence, le droit de propriété et le vote qui est attaché ne valent plus rien.
Ces décisions montrent bien que l’intérêt général passe avant l’intérêt des actionnaires, si nécessité fait loi et que les investisseurs devraient bien lire les contrats des produits proposés avant d’y investir.
- SVB Californie
La banque californienne a été mise en faillite du jour au lendemain à la suite de pertes liées à une mauvaise gestion de la couverture du risque de taux alors même que ces taux remontent, mettant en risque l’ensemble du secteur de la technologie car c’était une de leurs banques de référence.
Et cela a été possible car il y a 4 ans (mandat républicain) les ratios minimums exigés pour la couverture des risques bancaires et de marché avaient été allégés pour les banques moyennes aux USA. De là à imaginer d’autres faillites aux USA. Cela a amené les autorités à intervenir pour soutenir l’ensemble des banques moyennes en demandant notamment aux grandes banques de leur procurer de la liquidité pour éviter une crise systémique.
Les responsables politiques et bancaires européens ont publiquement essayé de rassurer les clients des banques européennes pour éviter une crise généralisée… car ce qui est en jeu est notamment la taille des hors bilans et des engagements des grandes banques dites « systémiques » (Crédit suisse était dans les 30 plus importantes…) qui sont très, très supérieurs aux fonds propres des dites banques, avec un risque de valorisation mal appréhendé par les marchés.
- L’intervention du Parquet National Financier auprès des grandes banques françaises
Alors que de nombreux investisseurs s’interrogent sur la « bonne santé » des banques européennes et françaises, on apprend que le Parquet Financier enquête dans les plus grandes banques françaises sur la pratique généralisée du prêt de titres lors du paiement des dividendes et ce pour éviter l’impôt (la retenue à la source) à la suite d’une plainte déposée par un collectif en 2018 qui s’étonnait de « l’inégalité devant l’impôt ».
Nous avons depuis plus de 15 ans alerté les entreprises, banques, investisseurs ainsi que certaines autorités de place sur le développement de ces pratiques qui se généralisaient avec à la clé des profits « indus » pour les banques (qui ont d’ailleurs été obligées de les partager avec les investisseurs depuis car ils réclamaient une partie de ce gain…).
Ce mécanisme dit de « prêt de titres » est en fait une cession-rachat à une banque pour une période donnée qui amène les entreprises à constater une très forte rotation de leurs actionnaires, avec « l’impression » de ne pas avoir d’actionnaires « stables » alors même que leurs actionnaires se croyaient toujours actionnaires… ne réalisant pas qu’ils avaient en fait cédé leurs titres.
Certaines entreprises ont, suite à nos remarques, décalé le paiement du dividende à 2-3 semaines de l’Assemblée générale pour permettre le vote en AG, alors que d’autres ont préféré le laisser au moment de l’AG, s’assurant probablement une neutralité de vote lors de l’AG, les banques françaises s’abstenant de voter. Plus récemment certaines banques, conscientes des ces enjeux de gouvernance, ont proposé un démembrement du droit de vote afin de laisser aux institutionnels le droit de vote pour s’exprimer en AG.
Les banques françaises ne payant pas d’impôt sur les dividendes ont ainsi proposé depuis plus de vingt ans et de façon transparente aux investisseurs internationaux de pouvoir échapper à la retenue à la source associée au paiement du dividende avec un impact non négligeable sur la rentabilité de leurs investissements. Certains (notamment assureurs) ont refusé de le faire alors que d’autres y ont recouru très largement. Difficile de croire que les autorités de tutelle ne connaissaient pas ces pratiques anciennes.
La justice française enquête en 2023 sur un mécanisme financier connu depuis très longtemps par les entreprises et les acteurs financiers. L’évolution de l’interprétation de pratiques autrefois considérées comme « possibles » fait peser un risque d’amendes très sévères sur les banques concernées et ensuite les investisseurs y ayant eu recours de façon systématique.
Trois exemples qui montrent bien l’extrême vulnérabilité des banques à leurs modalités de gestion du risque de taux en période de retournement, à la taille de leur hors bilan, aux opérations d’évitement fiscal considérées comme « normales » il y a encore peu de temps, qui peuvent à tout moment remettre en question la confiance de leurs clients. Mais qui montrent aussi qu’en cas de crise l’actionnaire ou le porteur obligataire ont tout à perdre d’une décision unilatérale.
Ce n’est pas nouveau (malheureusement) et il paraît que les investisseurs ont la mémoire courte.
Olivier De Guerre